La salle du restaurant était presque trop petite pour accueillir la cinquantaine de membres du CTP réunis pour écouter Marc Thorel et Araceli Guillaume Alonso évoquer les origines et l’évolution (les progrès) de la corrida au 18 ème siècle. Aficionados et passionnés de l’histoire s’étaient rassemblés dans la grande tradition du CTP où la culture a toujours été partie prenante de la corrida.
Le sujet s’appuie bien entendu, sur la lettre de Moratin au duc de Pignatelli, qui a donné son titre à la réunion. Cette lettre a été publiée en novembre dernier, pour la première fois en Français, par l’UBTF (Union des Bibliophiles Taurins de France), dans une édition remarquable bilingue avec des commentaires et des analyses pertinents et très enrichissants du texte originel.
On sait que cette lettre a eu un impact énorme sur toutes les générations d’historiens qui se sont intéressés à l’art taurin. Cet impact a été augmenté par l’œuvre de Goya dont 12 des planches de sa Tauromaquia (les premières) sont des illustrations directes de la lettre de Moratin.
Or comme le souligne Araceli Guillaume qui a traduit la lettre en partenariat avec Marc Thorel, c’est un texte difficile, assez obscur d’une part en raison de la langue du 18 ème siècle, d’autre part parce qu’il fait aussi des emprunts à des textes antérieurs notamment du 16 ème et 17 ème. De ce fait le crédit que l’on a fait pendant plusieurs siècles aux qualités d’historien de Moratin peut se discuter car s’il s’est certes appuyé sur ses connaissances de la tauromachie à l’époque, il a aussi emprunté à la littérature des siècles précédents.
C’est ainsi que Pour définir les origines de la corrida, il évoque d’abord les romains. Or, il est certain que même s’ils organisaient dans les arènes des « chasses » aux animaux sauvages, les romains n’ont jamais pratiqué une forme de tauromachie se rapprochant de la corrida : Moratin en est lui-même conscient puisqu’il cherche d’autres sources. Parmi celles-ci, les Maures. Or aucune preuve historique ne permet de penser que les Maures ont pu combattre les taureaux en champ clos. Tout au plus, certains, même si ce n’était pas une préparation à leurs modes de combat différents de ceux des chrétiens, ont-ils pu imiter les chevaliers espagnols qui poursuivaient les taureaux pour les tuer à la lance.
Enfin, l’expression « Progrès » dans le titre de la lettre exprime bien la sensibilité de l’auteur à son temps : au siècle des Lumières, il veut montrer que l’évolution de la corrida place la tauromachie dans l’idée globale d’un progrès de l’humanité.
De son côté, Marc Thorel éclaire la lettre de Moratin en définissant, par l’image, ce qui disparait dans la deuxième moitié du 18 ème siècle, ce qui subsiste encore et ce qui est nouveau :
CE QUI A DISPARU.
On ne voit plus des chevaliers tuer des toros à la lance : la planche de Goya représentant le Cid tuant un toro est sans doute une « fake news », même si elle a été reprise jusqu’au 20 ème siècle, notamment pour des motifs politiques ou nationalistes.
On ne voit plus que très rarement les toros livrés à la foule après le travail des nobles qui utilisent maintenant un javelot – un rejon -. Donc disparait aussi peu à peu la media luna qui servait à couper les jarrets du taureau et les banderilles qu’on lançait sur le toro n’importe où sur son corps ; disparaissent aussi les chiens, les dogues que l’on lançait sur le taureau avant de le mettre à mort.
Bien sûr, tous ces éléments d’une tauromachie ancienne mettent un certain temps à disparaître : l’évolution des traditions ne se fait pas au même rythme sur les plazas majores où les corridas disparaissent également faute de soutien de la royauté et dans les villages où le peuple tient à ses fêtes votives et aux spectacles taurins qui leur sont associés.
CE QUI APPARAIT
On voit apparaitre les assistants des cavaliers qui vont prendre au cours du siècle de plus en plus d’importance, au fur et à mesure que les nobles vont se retirer de l’art taurin. Parmi eux apparaît aussi le picador, qui devient un professionnel.
Surtout à partir de 1749 se met en place la scénographie de la corrida avec les 3 tiers. Jusque-là, seuls les cavaliers défilaient au paseo, les piétons étant consignés dans le callejon. Or ceux-ci, avant l’invention de la muleta à la fin du siècle pratiquent le recorte en utilisant leur vêtement traditionnel : la cape.
Mais ce sont 3 grands toreros, Costillares, inventeur de passes, Pedro Romero, dominateur et Pepe Hillo qui vont faire évoluer la tauromachie : Pepe Hillo publie le premier traité de tauromachie et à partir des années 1760, leur salaire devient supérieur à celui des cavaliers !
C’est aussi l’époque où se construisent les premières arènes en dur ( Puerta de Alcala à Madrid, Ronda, etc) qui sont payées par le roi mais confiées à des organisations charitables ou aux hôpitaux, ce qui permet aux alcades locaux d’esquiver les interdictions ultérieures de la corrida au motif qu’elles bénéficient aux pauvres et à la population !
Les membres du Club Taurin de Paris sont ressortis enchantés de cette soirée où la valeur des explications et des informations a été à la fois intéressante et passionnante.
Pour se procurer la lettre de Moratin:
bien ton compte rendu Merci
Quel script! Il me semble que dans l’antiquite, grecque ou romaine existait un jeu consistant à mettre des colliers de fleurs sur les cornes de taureaux en mettant en danger la vie de l’homme qui prouvait ainsi sa bravoure.
Bravo pour cette synthèse qui éclaire sur l’histoire de la corrida. Intéressant le temps long et ses évolutions… Merci.
Merci et bravo pour ce compte rendu.
Amicales salutatIons.
Ferdinand