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Toro n°15 de Buenavista, chargeant la barrière à San Lucar la Mayor le 26 février 2022. ©JYB

La temporada se déroule maintenant en Amérique, notamment en Colombie où la cour constitutionnelle vient d’infliger un nouveau revers aux abolitionnistes en ordonnant la réouverture des arènes de Bogota. Après le mauvais coup porté au jeune Marco Perez à Cali et Manizales et la réponse de celui-ci, virulente, (mais pour quel effet ? Voir le lien ci-dessous), c’est quand même une bonne nouvelle !

Pour passer les longues et douces soirées d’hiver, peut-être serait-il bon de se plonger dans les pensées de ceux qui comme Aymeric Caron mènent la charge contre les aficionados :

Pour cela, deux ouvrages, pleins de détails révélateurs sur les élucubrations des antispécistes :

L’extinction de l’homme, le projet fou des antispécistes de Paul Sugy, aux éditions Tallandier

L’imposture antispéciste, de Ariane Nicolas, aux éditions Desclée de Brouwer.

Il faut d’abord comprendre que l’antispécisme est une idéologie : Certes les effets de mode et le poids des réseaux sociaux lui donnent une visibilité qu’il ne mérite pas, mais le phénomène existe et le soutien d’une partie de l’industrie agroalimentaire qui veut conquérir la manne végane le rend dangereux malgré ses erreurs. Car comme toute idéologie, l’antispécisme ne connait que sa propre pensée, nie toute opinion contraire à la sienne et, in fine, conduit à une dictature intellectuelle (d’où la volonté d’interdire).

Le concept de base est que l’homme n’est qu’un animal comme les autres et qu’il n’a aucun droit sur les autres espèces vivantes, notamment de les exploiter que ce soit pour les manger, s’en faire un partenaire de loisirs, ou des compagnons de la vie de tous les jours. Cette vision purement biologique est bien entendu contraire à une réalité intuitive qui veut que l’homme soit beaucoup plus que son corps en raison des œuvres de son esprit, par exemple la culture, le droit, la psychologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie etc.

CITATIONS :

« …il n’est pas davantage possible de démontrer que l’homme est juste un animal. Ceux qui prétendent faire cette démonstration nous entraînent dans une forme de manipulation intellectuelle… Ils se contentent d’intégrer l’être humain au sein d’un continuum biologique qui situe tous les animaux sur un seul et même plan, à des degrés divers d’intelligence et de capacités physiques. » (Sugy)

« Que peut-on donc objecter à la pensée antispéciste ? Fondamentalement 3 choses. D’abord une rhétorique sentencieuse qui conduit à voir des impératifs de justice là où en réalité, n’émergent que des considérations morales sans fondements. Ensuite, un désir absolu de radicalité qui se réfugie dans la non-violence et qui conduit notamment à une dangereuse relecture du passé et de nos modes de vie. Enfin, l’alliance objective de l’antispécisme avec un horizon technologique post-humain qui entend nous rendre plus volontiers dépendant des machines que des animaux. De sorte que, loin d’être le « nouvel humanisme » annoncé ici où là, l’antispécisme apparait d’avantage comme un antihumanisme…(Nicolas)

Allons plus loin : L’argument fondamental de l’antispéciste est que l’animal étant un être sentient (qui possède une sensibilité) ne doit pas éprouver de souffrance. (Notons ici une contradiction dans les termes : l’être biologique éprouve de la douleur ; la souffrance est une douleur sublimée au niveau de la conscience que les animaux ne possèdent pas.) C’est au nom de cette « souffrance », que les animaux doivent avoir les mêmes droits que les hommes y compris le droit de vivre. En vertu de cette opinion, Peter Singer, un des premiers penseurs antispécistes estime que « tuer un chimpanzé est pire que tuer un être humain qui du fait d’un handicap mental congénital n’est pas et ne sera jamais une personne ». (in La libération animale)

Or qu’est-ce qu’un droit ? Ce n’est pas une construction ex nihilo qui voguerait dans un ciel où l’on pourrait s’en saisir : un droit, y compris un droit naturel (c’est-à-dire universel dans le temps et l’espace par comparaison avec le droit positif conventionnel, relatif et limité à un groupe), c’est une création de l’esprit humain. De ce fait, « les animaux ne peuvent avoir des droits que si les humains leur en accordent. » (Corine Pelluchon, philosophe)

Mais pour accorder des droits aux animaux, il faut « déconstruire » (quel vilain mot) la différence entre l’homme et l’animal :

CITATIONS :

« Déconstruire la différence entre l’homme et l’animal, c’est juger que celle-ci n’est pas naturelle, mais purement intellectuelle. Ce serait l’homme qui, pour asseoir sa domination, aurait volontairement déformé les réalités naturelles en construisant de toutes pièces des oppositions binaires : la suprématie de l’homme ne relève pas pour les antispécistes d’une loi de la nature mais d’une décision arbitraire des humains. » (Sugy)

Pour effectuer cette déconstruction, les antispécistes s’emparent du langage :

« Outre les néologismes, les antispécistes proposent aussi de modifier le sens des mots courants. Le langage doit être purgé de son prisme spéciste : tuer un animal pour en consommer la chair désignera un meurtre alimentaire, inséminer une vache représentera un viol… Ce qui signifie concrètement que les éleveurs et les vétérinaires en activité devraient comparaître en cours d’assises pour viol en réunion et les consommateurs pour complicité d’assassinat… » (Nicolas)

Revenons aux droits : fondamentalement, l’animal n’est pas libre.

« ..il est ce qu’il est, égal à lui-même, hôte d’une condition naturelle à laquelle il ne peut échapper… (pour Hegel), il manque à l’animal la capacité de réaliser autre chose que ce que la nature lui a assigné. » (Nicolas).

Mais alors, pourquoi s’attacher à la « souffrance » animale ?

Parce que pour les penseurs antispécistes, nourris de marxisme, la fin des luttes antiesclavagistes, féministes, sociales, oblige à trouver une nouvelle catégorie de victimes (concept très à la mode), ne serait-ce que pour s’attirer les faveurs de l’opinion nourrie de réseaux sociaux.

Mais aussi parce que les antispécistes nient l’idée même de nature au-delà de ce qui peut être mesuré par la physique et la biologie. Or, ceci est évidemment hautement contestable : il existe des lois naturelles qui s’imposent à tous les êtres vivants et que les hommes ne peuvent maîtriser ni même parfois comprendre. Or, pour les antispécistes, il y a une opposition de principe entre antispécisme et écologie :

« À la base de la pensée écologiste telle qu’elle est formulée, il y a le respect pour un ordre naturel… L’écologisme ne se préoccupe aucunement du sort du lapin individuel, mais uniquement de la persistance de son espèce. L’unité de base de l’écologisme est l’espèce… L’antispécisme, au contraire, vise à étendre au-delà des frontières de l’espèce humaine… des normes de considération et de douceur, d’altruisme. » (David Olivier, cité par Paul Sugy).

Autrement dit, pour sauver quelques toros de corrida, individus, l’antispéciste préfère ne pas se poser la question du devenir de l’espèce toro bravo.

« Qu’importe donc qu’une espèce s’éteigne, si sa persistance n’est bonne qu’à assurer aux individus qui en sont membres une vie désagréable ou douloureuse. À ce titre, la sauvegarde de la biodiversité n’est en rien une fin en soi… L a vie en elle-même n’intéresse pas vraiment les antispécistes… L’émerveillement de l’homme devant la nature est encore un réflexe spéciste, une forme d’appropriation et de mise en récit spécifiquement humaines. » (Sugy)

Pour quiconque a visité une ganaderia, ce raisonnement est absurde, d’autant que le combat du toro dans l’arène fait vivre en liberté et sans aucune « souffrance » des dizaines de milliers d’animaux de la même espèce.

Toro d’Adolfo Martin au campo, mai 2022. ©JYB

Il y aurait encore énormément de choses à extraire de ces deux livres dont je recommande la lecture : du véganisme qui est une conséquence concrète de l’antispécisme même si la plupart de ses adeptes ne s’en rendent pas compte, au fonctionnement d’une société où les animaux auraient des droits en fonction de leur statut (domestique, liminaire, sauvage) etc. En tout état de cause, mieux connaître la pensée de l’adversaire ne peut que contribuer à une meilleure défense de nos positions dans ce qui devient de plus en plus un conflit.