Lorsqu’on invite Vincent Bourg, Zocato, à dresser le bilan de la temporada, il ne faut pas s’attendre à une revue de détail des ganaderias et des toreros qui ont triomphé – ou non – au cours de la saison. Zocato est un conteur, brillant bien sûr, et plein d’humour ce qui l’autorise à sauter du coq à l’âne en multipliant les anecdotes et les innombrables souvenirs de sa carrière de novillero puis d’auteur-journaliste taurin.

Il avait d’ailleurs attiré une belle affluence qui a largement apprécié ses propos passionnés et ses analyses certes générales mais empruntes d’une grande finesse.
La temporada 2025 n’a pas apporté les surprises habituelles : on en retient l’impression d’avoir déjà tout vu, (90% des lidias sans originalité, répétitives etc.), au point que Zocato souhaiterait voir un torero faire le poirier devant le toro pour vraiment le surprendre !
Dans ces conditions, seul Morante est à l’honneur par une saison intense et triomphale, car il se place là où l’on peut prendre « des boites » et par sa despedida inattendue du 12 octobre à Madrid. S’est-il coupé ou non la coleta ? Seul l’avenir le dira mais Zocato, s’il espère le voir revenir, n’en est pas très sûr.

En tout cas, seul Morante fait vibrer, car seul il réalise le point d’interrogation à l’envers qui est l’alpha et l’Omega de la passe de toreo. Et ses clins d’œil à la tradition avec le toro blanc d’Osborne dans le festival du 12 octobre et le costume aux couleurs favorites d’Antonete à la corrida du soir sont aussi source d’émotion et de respect. Cela explique pourquoi sa vuelta et sa sortie a hombros de Las ventas ont pu durer un temps quasi infini.
Cela lui permet d’évoquer l’alternative de Morante, le 29 juin 1997 à Burgos où, après la corrida, il apporte à l’hôtel du maestro la cassette vidéo de l’événement et est invité par lui, contre toutes les traditions, à venir dans sa chambre et à regarder la vidéo avec son père, pendant que Morante prend sa douche !
Pour rester dans le 12 octobre, Zocato évoque le festival du matin et l’hommage à Antonete et la présence des grands anciens : pour lui, leur retour attirerait plus de monde que jamais dans les arènes car leur toreo est inégalable et contraste avec le vu et revu des faenas d’aujourd’hui. Il souligne qu’ils ont fait l’effort de s’entraîner et de perdre du poids pour ce jour exceptionnel. Mais il pense et espère qu’on les reverra.

D’une manière générale, Zocato récuse les faenas trop longues surtout si elles veulent montrer que le toro ne sert pas, le système des écuries qui pratiquent les échanges et ferment les cartels répétitifs.
Il attire l’attention sur l’estocade : aujourd’hui, le pommeau de l’épée (baptisé par lui de « cochonnet ») est remplacé par une barre qui permet au matador de pousser à fond sur son épée mais ne lui permet plus de viser le point d’impact et, au besoin, de le corriger au dernier moment : d’où des estocades tombées ou en arrière qui ne permettent pas réellement au spectateur de juger. L’éthique de l’estocade disparait ainsi.
Si Morante a suscité l’émotion vraie car il unit à l’art le risque assumé, quid de sa succession ?
Zocato ne croit pas trop aux figuras du moment qui ne surprennent jamais avec leur technique répétitive. Alors les jeunes ?

Aidé par les questions de l’assistance il cite Aaron Palacio, pour sa technique solide, sa lecture de la charge.
Marco Perez pour sa caste maintenue après qu’il ait grandi (comme Morenito de Aranda passé en 1 an de 1m34 à 1m84) en conservant toutes ses qualités.
Victor Hernandez remarqué dans plusieurs férias pour sa main gauche, a visiblement un potentiel à confirmer.
Quant aux toreros français, il pense que la voie leur est grande ouverte y compris en Espagne, mais ils n’ont généralement pas encore franchi le cap espéré en termes d’impact artistique et de « folie créatrice ».

C’est bien ce qui est la marque des espoirs de Zocato pour l’avenir : il faut que les toreros apportent la surprise et la créativité pour continuer à séduire.
La soirée s’est terminée par un hommage à Rafaël de Paula, avec la lecture d’un article plein de sensibilité publié dans Sud-Ouest en 2000 par Zocato : « les hérissons orphelins », qui célébrait la despedida du Maestro après une corrida catastrophique où il avait entendu, à 2 reprises les 3 avis. Superbe moment d’émotion et de grandeur tragique !
Zocato enchainera d’ailleurs sur le récit du séjour en prison de Rafael au Puerto de Santa Maria, où les détenus, pour la plupart basques, exigeaient qu’il torée de salon dans la cour de promenade au milieu des Olés. La suite, à la sortie de prison fut un seul contre six triomphal à Séville !

Suivra la traditionnelle signature du livre d’or du Club et les discussions animées autour du repas qui suivait.

Au total une très belle soirée !
En complément, ce billet écrit par Vicentino, membre du CTP :
Il y a des soirs où l’afición se regarde dans le miroir et hésite entre sourire et soupir. Le 12 novembre, Zocato a tenu ce miroir avec sa verve inimitable : un tourbillon d’anecdotes, de souvenirs et d’uppercuts tendres à la saison taurine qui s’achève. Son fil rouge ? La surprise perdue. « Ce que je vois, je crois l’avoir déjà vu », confesse-t-il, regrettant les faenas étirées quand le toro ne sert pas, ces 2 h 45 qui grignotent l’envie autant que l’apéro, et la technique de l’épée devenue affaire de poussée plus que de précision.
Au milieu du déjà-vu, un éclat : Morante de la Puebla. Zocato le hisse au rang de seul matador capable, cette année, de tracer ce point d’interrogation inversé qui transforme la charge en évidence. Il raconte Madrid : l’hommage du matin, le triomphe, la marée humaine, puis la coleta tranchée là où cela a du sens. Détails justes, éthique soignée — du costume à l’intention —, et l’impression qu’avec lui s’éloigne une manière rare de toréer court, vrai, près et profond.

Le regard glisse alors vers demain. Zocato guette les secousses : Marco Pérez, grandi d’un hiver sans perdre la qualité ; Víctor Hernández, main gauche prometteuse ; Aarón Palacio, fondamentaux nets. Mais il pointe un système verrouillé, des cartels en circuit fermé et une France taurine à qui tout est ouvert mais qui n’a pas encore bondi. En arrière-plan, une note politique inquiétante sur la fin des aides publiques en Espagne signe, dit-il, d’un vent contraire qui exige une tauromachie exemplaire et nerveuse.
Comme toujours chez Zocato, la mémoire éclaire le présent : Yiyo enfant, les vaches landaises qui « appellent par les prénoms », et surtout l’hommage à Rafael de Paula, gitan de cristal et de feu, dont il lit une prose lumineuse et triste. De là surgit une proposition malicieuse et sérieuse à la fois : inventer un circuit de « papys » mêlant anciens et jeunes en festivals courts, pour réenchanter l’arène.
On sort de la salle avec l’envie paradoxale d’un retour aux choses simples : vérité, brièveté, audace. Et ce vœu, presque enfantin, que demain quelqu’un ose à nouveau nous surprendre.
J’aime beaucoup les photos de Zocato qui révèlent bien le personnage.
Excellents (et complémentaires) !