On vient de voir Juan Leal triompher à Nîmes où il est sorti une nouvelle fois par la porte des Consuls, mais auparavant, il avait rencontré les aficionados parisiens, le 30 juin dernier, au Ruedo Newton parisien, (qui n’a pas changé son nom compte tenu des difficultés administratives, malgré l’abandon de Ricard).
On ne l’a pas fait beaucoup parler de son style de combat, mais des sensations qu’il éprouvait en corrida :
« A Nîmes, je voulais retrouver mes sensations et les aficionados en leur donnant mon maximum à 100%. »
Question : où trouve-t-on un tel courage ? :
« C’est relatif, c’est plutôt de l’entrega, du don de soi. C’est se livrer à 100% devant un animal qui se livre à 100%. »
Question : Comment en étant un jeune père peut-on continuer à toréer et franchir cette ligne du don de soi ?
« La mort, on l’oublie sous la douche avant de s’habiller de lumières. C’est alors que commence la préparation mentale du don de soi. »
« Ceci étant, son fils (4mois) ne sera pas torero : ni moi ni sa maman ne le voulons. Jamais ! »
Question : que va-t-il chercher dans l’histoire de la tauromachie ? (Jean-Michel Mariou dans son livre « le chauffeur de Juan », chez Verdier dont je recommande la lecture car il est excellent, raconte qu’au soir d’un triomphe après un indulto, tout le monde dormait dans le coche de cuadrilla sauf Juan qui s’est mis à l’interroger sur Nimeno 2. Et en arrivant à la soirée du Ruedo, Juan avait dans son sac un livre sur El Viti).
« Ce sont les bases de mon métier, même si aujourd’hui l’époque a changé. Mais comment peut-on continuer à vivre en torero sans cela : aborder la vie et la mort cela relativise l’importance du reste. Savoir passer ses émotions aux gens. Il n’y a pas beaucoup de vidéos des grands du passé mais on peut, grâce à l’imagination se faire une idée. »
Question : et la COVID ?
« Ca a été le véritable coup de massue : le 15 mars, annonce du confinement, le 19, j’étais au campo sans communication téléphonique et j’apprends au retour que Valence était annulé ! Ensuite ça s’enchaîne. Depuis 2 ans, ça coince ; il faut se réadapter, multiplier les réunions pour pouvoir toréer. Dès ce moment, il y a beaucoup de questions sur le comment du retour ; toutes les décisions sont prises dans l’instant ou du jour au lendemain.
Depuis que les corridas reprennent, il y a quand même la question des jauges réduites : elles entraînent un manque terrible de proximité : moins de monde égale moins de chaleur, le ressenti est différent, les faenas mettent plus de temps à connecter. »
Question : que peut-on faire pour que le spectateur ait envie de reprendre sa place ?
Je pense aux gens qui sont venus voir un spectacle et je dois leur donner ce pourquoi ils sont venus. Mais face au toro, tu ne penses à rien jusqu’à la fin de la série ! c’est à ce moment que l’on sent le contact avec le public : ce que j’ai ressenti, le public l’a ressenti aussi. Si vous pouviez vivre cette sensation, vous seriez tous en bas rose et en costume de lumières !
Question : Quels sont tes sentiments à la mort du premier toro de ta carrière ? Est-ce que le toro fait peur ?
« J’éprouvais beaucoup d’impatience. Il manquait quelque chose avant cette première mise à mort. Mais ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. C’est plutôt le dialogue avec le toro dans les passes qui enrichit.
Le toro fait peur , oui, beaucoup : si on n’avait pas peur, on ne serait pas courageux. Mais on craint surtout de décevoir particulièrement dans les rendez-vous importants. J’ai eu des toros qui me disaient ne te trompe pas, par exemple le Miura de Bilbao : c’était lui ou moi ! »
Question : qu’est-ce qui a changé ?
« C’est la société qui a changé. Le personnage du torero n’est plus aussi vénéré que dans le passé.
A l’époque de Nimeno, il s’agissait de sortir de la misère, aujourd’hui, les gens se sentent dérangés de prendre des risques. Aller aux arènes, c’était normal de même que pour le torero de prendre des risques ; aujourd’hui, ils ne sont plus tranquilles en voyant ça ! »
Michel Mariou :
« Le public cherche une tauromachie de consolation, qui tire vers l’art ; ce n’est pas celle de Juan. »
A propos du chauffeur de Juan :
« Je ne voulais plus écrire sur les toros. Maurice Berho m’a convaincu car il n’a jamais douté de Juan : ça m’a donné l’envie de vivre dans l’intimité d’une cuadrilla. Ensuite, ce fut l’aventure humaine car c’est l’homme Juan qui est intéressant. Et aussi une remarque comme est le torero, comme est la cuadrilla, donc une certaine dignité chez tous.
Quand on fait partie d’un staff, on dit « nous » toréons à tel endroit. Mais on s’adapte très vite – même si on est réveillé à 3 heures du matin par le mozo de espada qui cire les zapatillas pour la énième fois-. »
Question : le fétichisme ?
« Pour que tout soit parfait, il, faut tout contrôler : je cherche donc à avoir un œil sur tout, même si je fais confiance.
Je possède 7 costumes de lumière plus 3 à l’achat (au 30/06/2021). Un costume dans lequel j’ai reçu un coup de corne, je le remets, si possible dans la même arène !
J’ai un grigri, une espèce de chapelet de mon arrière-arrière-grand-mère. Quand je sors de ma chambre je n’éteins jamais la lumière et je me tiens toujours à droite dans le burladero. »
Question : d’où vient cette vocation ?
Ma famille est dans la tauromachie. Pour réussir, je suis parti à l’école taurine d’El Juli. Cela n’a pas été simple ! Demander à mes parents de m’aider, cela aurait été prendre de l’argent à mes frères : cette trajectoire fut un énorme sacrifice.
Un message d’espoir !
La corrida sera toujours là quand mon fils aura 14 ans : c’est un spectacle tellement pur et honnête qu’il ne peut pas disparaître. Quand on transmet ses valeurs et sa passion, on est toujours suivi.
GRANDE OVATION. Et Juan Leal vient de triompher à Bayonne devant les Garcigrande et El Juli. Voici ce qu’en écrit Patrick Beuglot sur son excellent site « Toros 2000 » :
Juan Leal (de lilas et or): Une oreille; et Deux oreilles – est à créditer d’un énorme triomphe, à la barbe de ses collègues prestigieux. Certes il touche deux toros nobles (important, le 6ème), mais le Français, présent en deux quites volontaires et risqués, capote dans le dos, est arrivé au moment de l’arrimon, « après » avoir toréé, long et souvent bien, dans le registre classique: Séries sur chaque main, templées, bien rematées au pecho. Puis vint « la séance » habituelle! Mais là encore, le Français, observé des barrières par les collègues, s’est donné « à fond », comme toujours, mais « en toréant ». Le faire, les deux genoux en terre, en début de faena; et le faire « en fin de faena » n’est pas du tout la même chose, et l’on retiendra particulièrement cette passe inversée, à tour complet, parfaitement templée et « limpia », qui fit monter juste ovation, face au sixième, comme « colofon » d’une feana complète, à un toro très noble. – Son premier adversaire semblait « cojo », soulevant protestations, mais il alla « au bout », soutenu, « convaincu » par un torero auquel il ne pouvait rien refuser. – Le sixième, très noble permit « la même.. mais en couleurs! » et, tuant des deux « envols » dont on le sait familier, Jan Leal coupa trois oreilles auxquelles il n’y aura que peu à redire. – Enhorabuena!
Et oui le Ruedo est toujours là
Merci cher ami