Culturaficion avait invité le maestro Luis Gerpe ce 14 janvier pour une soirée interview dont voici le contenu :
Luis Gerpe est né en Galice, la province celte de l’Espagne, où bien que ce soit peu connu existe une aficion intense et fidèle. Peu d’arènes effectivement hormis celles de Pontevedra toujours pleines, mais beaucoup de portatives et de spectacles de rue. Il est aujourd’hui le seul matador en activité originaire de cette région.
Son grand-père et son oncle ont eu une carrière de novillero avant de se faire le premier impresario, le second banderillero, mais c’est surtout du côté de sa mère que la passion taurine était prégnante.
Luis Gerpe a commencé à s’approcher des toros à 7 ans puis est entré à l’école taurine de Madrid à 13 ans où il a fait ses débuts en novillada non piquée. À 16 ans, il en avait toréé environ 80, en participant à des concours d’écoles taurines, dont celui de Madrid qu’il a remporté. C’est ainsi qu’on a pu le voir à Nîmes en 2010 pour une de ses premières apparitions en France.
Après une brillante carrière de novillero, où il toréera 55 novilladas, l’alternative vient en 2015, mais comme beaucoup de jeunes, il ne bénéficie pas de contrats et vit une période difficile, pendant laquelle il ira toréer au Mexique et au Pérou. Même Madrid lui refuse la confirmation d’alternative, ce qu’il ressent comme une injustice alors qu’il avait confirmé en Amérique, et pour se rappeler au souvenir de l’empresa, sur les conseils de son entourage, il entame une grève de la faim de 11 jours en 2019 devant las Ventas. Il avoue que ce fut une erreur qu’il ne commettrait pas aujourd’hui. En fait, c’est le manque de contrats en Espagne qui explique ces réticences de Madrid, même s’il toréait beaucoup en Amérique. Enfin la confirmation viendra en 2022, après le COVID.
En fait, ses contrats en Espagne se passaient dans la vallée de la terreur : dans cette dizaine de villages, des arènes petites, des toros immenses (jusqu’à 700kg), parfois très âgés, et des toreros sans autre opportunité.
Dans cette période, il était le petit prince de la vallée de la terreur et coupait beaucoup d’oreilles.
Q : On remarque que son parcours est semblable à celui d’Emilio de Justo
Parfaitement et comme de Justo c’est en France qu’il va sortir peu à peu du marais : le système français est moins fermé et moins biaisé que l’Espagnol. En particulier, le succès ouvre automatiquement la porte à la répétition lors de la prochaine féria. On l’a vu à Vic où il a obtenu d’être reprogrammé après une course de qualité « dans une arène de qualité ». Mais il prend ses après-midi les uns après les autres.
Son apoderado en France, Geoffrey Calafell, raconte d’ailleurs qu’il ne connaissait pas Luis à l’époque où il apodérait un autre matador, mais qu’un des picadors de la cuadrilla lui avait conseillé de s’intéresser à Luis « qui avait du potentiel, et deviendrait quelqu’un dans la tauromachie ». Après s’être rencontrés, ils se sont aperçus qu’ils étaient en phase.
Q : Comment gère-t-il le stress ?
Par la mentalisation et le soutien de l’environnement familial. Il essaie d’atteindre ce niveau où l’on est prêt à tout perdre -y compris la vie- en entrant dans la plaza. Avec le temps et la maturité, il aborde chaque course comme si c’était la dernière. Donc avec un détachement mental. Il médite beaucoup notamment toute la semaine précédent une corrida et est serein le jour J. Cependant il reconnait que plus jeune, il toréait de manière instinctive.
Au total, il est toujours impressionné en entrant dans une arène : cette pression ne disparait pas avec le temps mais elle est nécessaire pour maintenir l’envie.
Q : Comment se prépare-t-il ?
Le toréo de salon est fondamental. Mais il va aussi tienter dans les ganaderias dont il va lidier les toros. Il ne prépare pas ses corridas comme des corridas « dures » : il y a des toros nobles et des toros de sentido dans tous les élevages. Donc il torée chaque toro comme il sort.
Par ailleurs la dimension physique est très importante : outre l’échauffement (1h30) avant chaque entraînement, il pratique la boxe et le Muay Thaï.
Q : Son évolution vers les corridas toristes ?
Il voit cette évolution comme inattendue : il rêve de toros « de luxe ». Donc il accepte de ne pouvoir exprimer forcément tout ce qu’il ressent et tout ce qu’il a envie de montrer. Il saisit l’opportunité des cartels pour s’exprimer et se veut plus artiste que belluaire, même si toutes les corridas ne lui permettent pas d’exprimer son caractère de torero artiste. Ses références sont d’ailleurs : Antonete, Rafaël de Paula, Manzanares Padre et Curro Vasquez. Parmi les toreros français, il admire Castella, Juan Leal avec qui il avait toréé de novillero, Cayetano Ortiz, Tibo Garcia et Clemente. D’une manière générale il apprécie tous les toreros qui osent se mettre devant les élevages toristes.
Q : Vic 2024 ?
Il s’était bien senti à Vic en 2023 et en 2024, son deuxième toro lui permet de couper une oreille, même si le public et la présidence de Vic sont très exigeants et très durs. Il était très déterminé après sa blessure : ce toro donnait beaucoup d’émotion, serrait à droite mais chargeait bien à gauche. Cependant, le toro ne s’est pas exprimé à fond à cause de la boue ( gros orage à Vic et gros travail des areneros pour essayer de remettre la piste en état).
Q : 2025 ?
Ce sera une temporada plus importante, plus intense selon Geoffrey Calafell. Il est déjà annoncé à San Agustin de Guadalix et des contacts sont en cours pour Madrid (il n’est pas annoncé dans les prévisions de cartels déjà sorties, mais l’officialisation n’interviendra que le 6 février et peut-être est -il programmé par l’empresa plutôt pour la feria d’Otono). D’autres contrats sont sans doute signés, mais comme d’habitude, il faut attendre la publication par les organisateurs.
À l’issue de cette soirée, Luis Gerpe et son apoderado, très applaudis, ont reçu la traditionnelle photo hommage des aficionados parisiens avant de laisser un message sur la cape des dédicaces du Club.
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