Dans « Les oreilles et la queue » (édition 1990 page 237-238), Jean Cau rouvre « une fois de plus » le débat « être pour le taureau ou pour l’homme »(… ) « qui me semble être d’une remarquable stupidité » (c’est lui qui écrit).
Sa réflexion mérite d’être entendue en ces temps où l’animalisme à la Disney envahit les pensées et les comportements !
« On entend de ces sornettes… « Moi je suis pour le toro ! » Très bien camarade ! En ce cas, prenez un chiffon, plantez vous devant un quadrupède cornu de 500 kilos et dites moi si vous voyez une lueur de bonté humaniste dans son regard fixé sur vous. De la barrière, saluant votre courage, je vous crierai que « je suis pour le toro ! » lorsque les 500 kilos se mettront en mouvement, poignards dirigés vers votre panse. La corrida- hélas ! tant qu’il y aura des toros et des touristes, je m’échinerai à le répéter – n’est pas un sport. Il ne s’agit pas d’être pour l’un ou pour l’autre. Le toro est l’ennemi absolu, l’adversaire total, l’inhumaine brute qu’un homme accepte de combattre en créant, si possible, de la beauté.
- Mais le toro a moins de chances…
Bon Dieu ! vous dis-je, qui parle de « chances » ? Qui parle de la « Déclaration des droits de l’homme et du toro » établie lors d’une table ronde à laquelle participèrent des toros très savants et des hommes très démocrates ? Quand donc cesserez-vous de considérer les toros comme des humains à quatre pattes, au chef orné de deux cornes et sous-développés et opprimés peut-être ? Un toro, Monsieur, c’est une brute sauvage et parfaitement in-hu-mai-ne. Si vous vous mettez en face de lui et que vous lui récitiez un traité de morale ou un credo de bonté, il ne vous écoutera pas mais foncera sur vous, animé d’un sombre instinct qui lui donnera une colossale envie de vous tuer. Il ne s’agit donc pas de le considérer comme un citoyen à part entière et d’être pour ou contre lui.
Cessez, je vous en prie, cessez de prendre parti là où parti il n’y a pas. N’oubliez pas que le toro n’a que les chances que le courage de l’homme lui donne. Les bœufs dont vous savourez la viande, eux, furent occis dans les abattoirs sans que les bouchers leur aient donné la moindre occasion de les égratigner. Êtes-vous pour le bœuf aussi ? Et pour le sanglier contre le chasseur ? N’oubliez pas que tout, dans une corrida, est une création de l’homme. Y compris la bravoure de l’animal ! Il suffirait, en effet, de quelques mélanges de sang et en deux temps trois mouvements, les toros de combat ne recéleraient plus un atome de bravoure et le toro dit « brave » disparaitrait de la surface de la terre. Une fois pour toutes, admettez donc le règne absolu de l’homme sur l’animal, admirez sa folie de l’affronter avec un bout d’étoffe et saluez sa volonté de mettre au monde de la beauté avec ces deux ingrédients : une brute et un chiffon.
Ou alors, plus raisonnablement, déclarez que vous n’êtes pas sensible à cette beauté. Personne ne vous en voudra d’être fermé à un art. Tenez, moi, par exemple, la danse classique m’ennuie à périr et je l’avoue. »
A méditer…
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